Littérature et folie entretiennent depuis longtemps des rapports étroits. Le motif de la folie est d’un intérêt particulier pour les critiques littéraires, dans la mesure où il touche à la fois au langage, à la création, à la poétique, etc. Aristote aurait été le premier à se poser la question du lien entre le génie (la créativité) et la manie (la folie) [1]. Au fil des siècles s’effectue un changement de perspective autour de ce motif. Si, pendant longtemps, s’installe un voile ou un mythe autour de la folie, considérée en tant que prisme positif notamment pour la créativité, ou comme médium critique pour dénoncer certaines tares sociétales, peu à peu la folie intéresse en tant que maladie mentale touchant un individu. Ainsi, le thème de la folie a tendance à laisser la place à celui de la maladie mentale, dont le traitement, même dans la fiction, passe de considérations englobantes et souvent métaphoriques (dénonciation de maux sociétaux, vision exaltée de la folie) à une perception intime, clinique, et centrée sur l’individu. A l’ère hypercontemporaine, c’est cette tendance qui prévaut. Or ces manières spécifiques de représenter le personnage malade sur le plan mental et les thérapeutiques qui lui sont liées n’ont pas encore été traitées par la critique portant sur les littératures de langue française contemporaine.
Aussi, tout en m’appuyant sur les travaux antérieurs sur la relation entre psychiatrie et littérature (Foucault, Starobinski, Rigoli), je me propose dans ma thèse d’examiner comment la maladie mentale est représentée et figurées dans quelques œuvres de fiction récentes liées à des régions diverses de l’espace de langue française : C’est vole que je vole (1998) de l’écrivaine martiniquaise Nicole Cage-Florentiny ; La mémoire de l’aile (2010) de l’autrice franco-ontarienne Andrée Christensen ; Le chant des ténèbres (1997) de l’écrivaine sénégalaise Fama Diagne Sène ; La maison des épices (2014) de l’autrice sénégalaise Nafissatou Dia Diouf ; Tête de tambour (2019) de la primo-romancière française Sol Elias ; Je sais quand Dieu vient se promener dans mon jardin (2004) de l’écrivain haïtien Victor Gary ; ou encore Folie, aller simple. Journée ordinaire d’une infirmière (2010) de la romancière d’origine guadeloupéenne Gisèle Pineau.
En partant d’un corpus de langue française diversifié, le but principal de ce travail est de questionner des représentations contemporaines pour étudier par quelles stratégies la maladie mentale est mise en scène, et quels sont les enjeux de telles représentations. Plus spécifiquement, il s’agit de dresser une poétique du récit de la maladie mentale sévère et, dans une démarche comparatiste, d’étudier les phénomènes d’interculturalité et de transculturalité qui la sous-tendent. D’une part, en effet, l’expression du trouble mental s’accompagne souvent de stratégies narratives diverses et singulières qui, par mimétisme, renvoient au trouble mental lui-même. D’autre part, si elles tiennent du choix d’une autrice ou d’un auteur, ces dernières sont aussi souvent liées à des conflits dans lesquels la dimension culturelle ou interculturelle entre en jeu – par exemple en opposant différentes « cosmologies » (au sens anthropologique). Le prisme interculturel permet donc d’interroger les différentes représentations fictionnelles du désordre mental.
[1] Bühler, François, Les grands écrivains bipolaires, Publibook, 2018, pp. 37-38.
Corpus :
- CAGE-FLORENTINY, Nicole, C’est vole que je vole, Paimpont : Les Oiseaux de Papier, 1998.
- CHRISTENSEN, Andrée, La mémoire de l’aile, Ottawa : Les Éditions David, 2010.
- DIAGNE SENE, Fama, Le chant des ténèbres, Dakar : Les Nouvelles Éditions Africaines du Sénégal, 1997.
- DIOUF, Nafissatou Dia, La Maison des épices, Montréal : Mémoire d’encrier, 2014.
- ELIAS, Sol, Tête de tambour, Paris : Rivages, 2019.
- GARY, Victor, Je sais quand Dieu vient se promener dans mon jardin, La Roque d’Anthéron : Vents d’ailleurs, 2004.
- PINEAU, Gisèle, Folie, aller simple. Journée ordinaire d’une infirmière, Paris : Philippe Rey, 2010.