Projet FNS du Prof. Dr. Michèle Crogiez Labarthe
La recherche suisse et internationale a renouvelé l’étude de la vie savante : histoire des idées et histoire des sciences ont en effet développé des recherches spécifiques sur les contacts culturels, les intermédiaires et traducteurs, l’histoire individuelle des savants et des institutions savantes, sur les techniques d’étude de la correspondance érudite et de leurs réseaux. Les publications, souvent réalisées en ligne (correspondances érudites, mémoires d’académie, voire archives privées), constituent un vaste repertorium de données sur la vie savante. Surtout, les outils de recherche performants que ce mode autorise favorisent la recherche à une tout autre échelle.
Configurer la vie savante sous l’Ancien Régime ouvre une perspective transversale encore inexplorée : il s’agit de chercher comment les savants se représentent leur travail et réclament les outils nécessaires pour le mener à bien, et de confronter cette configuration avec le portrait-type du savant que construit le discours social contemporain. La raison d’être de ce projet est de montrer comment se configure un aspect de la vie savante, celui qu’on appelle aujourd’hui la recherche scientifique : il s’agit de préciser par quelles étapes mentales, aussi bien que chronologiques, par quels moyens et selon quels modèles se sont institutionnalisées, professionnalisées et subventionnées les activités de recherche savante, à une époque où elles n’étaient pas encore considérées autant qu’aujourd’hui comme une profession, une activité à temps plein, une nécessité pédagogique, politique et sociale.
L’objectif principal de ce projet est de réussir à dater les étapes de la “professionnalisation” de la vie savante, c’est-à-dire la revendication par les intéressés d’un statut professionnel pour leur travail, soit le contraire ou le complément de ce que le XVIIIe siècle désignait comme activité d’« amateurs ». Atteindre cet objectif demande la mise en œuvre interactive de deux axes de recherche : étudier d’une part le discours des savants sur les modes de soutien à la vie savante, matériels ou symboliques, qu’ils requièrent du corps social – du mécénat privé au mécénat royal et à l’institutionnalisation des carrières savantes – ; analyser d’autre part l’évolution de la représentation symbolique de la figure du savant, telle qu’elle oscille entre deux extrêmes, la figure du génie individuel passionné de sciences et de découvertes et celle du chef de laboratoire orchestrant moyens humains et moyens techniques, et son influence éventuelle sur le premier axe de recherche.
Les buts spécifiques de cette recherche tiennent à l’époque et au corpus d’étude qu’elle envisage : le cadre mental et chronologique une fois précisé, il permettra de comprendre dans leur contexte les éléments individuels des carrières savantes de l’Ancien Régime (recherche de mécénat, de prix, de reconnaissance sociale, de sinécures d’ailleurs souvent toutes relatives, rapport aux « carrières » religieuses, choix matrimoniaux) ainsi que la manière dont les attentes exprimées par le personnel savant contribuent à les faire évoluer.
Seront mises en œuvre les méthodes de l’analyse littéraire, appliquée à de vastes corpus : à la fois la sémantique historique et l’analyse contextuelle. Il est notamment prévu de mettre au point la grille d’interrogation la mieux adaptée au balisage du corpus, tel qu’il vient d’être évoqué, c’est-à-dire incluant toute la variété des nombreux imprimés, manuscrits et documents d’archive à considérer.
La figure du savant étant une construction mentale et sociale et l’organisation actuelle de la vie savante étant encore largement héritière des attentes exprimées déjà sous l’Ancien Régime, l’apport décisif de l’ensemble de cette recherche est de nourrir, par la comparaison historique, la réflexion la plus contemporaine sur la place du savoir dans la cité et le lien entre enseignement et recherche.
Doctorants :
Alice Breathe
Emmanuel Buettler