De l’entre-deux-guerres aux années qui suivent immédiatement la Seconde Guerre mondiale, une même « atmosphère » imprègne les productions de différents médiums artistiques – littérature, cinéma, photographie, voire chanson et art graphique ; elle informe un imaginaire commun où circulent les représentations bien reconnaissables d’un certain Paris, celui des quartiers populaires et de la banlieue, plus généralement des « marges » urbaines et sociales de l’époque (prisons, bagnes, « quartiers réservés »). Utilisé aussi bien par les réalisateurs (Carné, Duvivier, Clair, etc.) que par les écrivains (Mac Orlan, Carco, Prévert, Simenon, Cendrars, voire Genet) ou par les photographes (Brassaï ou Kertesz), le terme d’« atmosphère » y devient un mot-clé désignant un certain rapport à la ville moderne, mais aussi l’inquiétude diffuse et les malaises d’une société brutalisée par la guerre et pressentant l’imminence de nouvelles catastrophes. Par sa volonté de saisir cette « atmosphère » bien particulière, dont l’« imaginaire des bas-fonds » (D. Kalifa) fournirait le verre grossissant, cette esthétique se présente le plus souvent comme intermédiale, d’abord à travers les multiples et très concrètes collaborations des artistes entre eux (écrivains/illustrateurs, cinéastes/écrivains, photographes/écrivains), puis dans la manière – souvent fantasmatique – dont ces médiums s’y pensent et s’y réfléchissent les uns les autres.
Connu dans l’histoire du cinéma sous le nom de « réalisme poétique », ou encore de « réalisme d’atmosphère » (André Bazin), désigné parfois en littérature sous le terme de « fantastique social » (Pierre Mac Orlan), ce courant en marge des avant-gardes, mais empruntant à ces dernières nombre de leurs innovations, mérite d’être compris dans ses différentes déclinaisons littéraires, cinématographiques, photographiques, etc., et saisi dans sa singularité, mais aussi dans l’ambivalence même de son projet : un « réalisme » qui n’hésite pas à recourir à l’artifice et au stéréotype, à travers notamment la mise en avant du « décor », la déformation de la caricature et le goût du grotesque, ou encore l’esthétique du journal à sensation.
Notre recherche se propose de mettre en évidence, sous un angle critique qui en souligne aussi les enjeux idéologiques, cet imaginaire commun marqué par un certain air du temps et resté le plus souvent inaperçu des histoires de chaque art – notamment de l’histoire littéraire –, dans la mesure où il se situe d’une part dans « un espace flou entre haute culture et culture populaire » (Andrew Dudley), et d’autre part entre plusieurs formes d’expression artistique, considérées généralement de manière séparée.